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exposition "Evolve"

english translation

digital photos, multimedia installations, by Florence Ormezzano
Le Vigan, October-November 2019

installation “A deux mains”, “With two hands” clay, wire

“Florence Ormezzano, l’irréalité concrète”
a critical text by Laurent Puech

Si l’on en croit Georg Baselitz dans une interview récente, nous vivons à une
époque « maniériste ». En effet, les possibilités sont infinies et les artistes,
comme les autres, ont le choix de tout et son contraire.
En apparence toutefois. Eloignés du déterminisme marxiste qui a tant compté
au cours du siècle dernier pour comprendre le monde et libérés de la morale
qui a modelé l’Occident pendant de nombreux siècles, nous ne recherchons
plus la vérité. Et qu’en faire si nous la trouvions lorsque des objections sans
fin se dressent aujourd’hui face à toute parole. Les artistes de la modernité ont
passionnément recherché la vérité or ce n’est plus le cas dans un monde de l’art
gagné aux valeurs libérales qui privilégient l’offre. Parmi d’autres, Damien Hirst
en a montré la nostalgie avec ses faux Trésors de l’épave de l’Incroyable, un titre
qui dit tout, au Palazzo Grassi en 2017.

“Réincarnal” mixed media installation

The artistic work by Florence Ormezzano, made of performances, digital collages, sculptures

L’œuvre plastique, faite de performances, de collages numériques, de
sculptures ou de machines de Florence Ormezzano s’inscrit dans la suite de
Marcel Duchamp. Les paradigmes de l’art contemporain tel qu’il a été conçu
par Duchamp après 45, en plein « modernisme », proviennent en majorité du
surréalisme, du cinéma et de la psychanalyse freudienne. La notion d’écriture et
le recours à la machine y vont également de pair. Ces quelques lignes dressent
un portrait partagé par nombre de créateurs actuels de premier plan. L’histoire
transcontinentale du conceptualisme duchampien se poursuit. Et ces cinq
éléments retenus : la machine, l’écriture, la psychanalyse, le cinéma et le
surréalisme contiennent l‘expression de Florence Ormezzano.

Installation “Manual-Trans” meditative acceleration device, to reach an illuminated trance in 6 min and 5 sec
“Transe-Manuelle” dispositif d’accélération méditative, pour atteindre une transe éclairée en 6 min et 5 secondes

Pour pénétrer son univers artistique, l’encyclopédisme aussi serait intéressant
quoique trop vague, cultivé dans le mauvais sens du terme et d’une exploitation
aussi facile que l’expression cabinet de curiosités, devenue fourre-tout. En
revanche, un certain scientisme, du comportementalisme au cyberféminisme,
s’impose puisque la question des barrières humain-animal-machine est
clairement posée par l’artiste. De nombreux chercheurs et penseurs interrogent
l’intelligence animale sans dresser de hiérarchie entre espèces mais à l’inverse
dans une complémentarité avec l’entendement (humain, faut-il le préciser !)
comme la biologiste américaine Donna Haraway qui a imaginé une nouvelle
ère géologique, le « chthulucène » et dont Florence Ormezzano connaît très
bien les ouvrages. Il y a quelque chose à noter sur l’enveloppe charnelle et

sur la perception qui en découle. Comment la forme reflète-t-elle sa propre
«intelligence» ? Ainsi que nous le supposons des « autres terrestres » que
nous appréhendons par leur seule apparence, incarnons-nous l’image ou la
caricature de notre caractère ? Véritable road movie naturaliste brouillant les
frontières à dessein, les collages numériques de Florence Ormezzano glissent
d’un «règne» à l’autre, animal, végétal mais encore des milieux écologiques:
aquatique, terrestre ou céleste. Les titres amalgamés des séries d’œuvres en
témoignent reliant verbalement ce qui ne peut l’être autrement : maingonie ou
tipie.

Historien de l’art, j’examine les différents engagements vis à vis de la
représentation et de ses systèmes, Florence Ormezzano ne s’intéresse pas à
l’apparence du corps humain ou animal, ni d’ailleurs à la «logique» anatomique
des espèces. Comme une machine outrepassant sa fonction reproductrice d’un
geste imprévu, son regard traverse l’enveloppe charnelle pour aller très au-delà.
Ses collages numériques, reportage renversé d’une réalité seconde, fourmillent
de détails, peaufinés par les algorithmes, qui en rajoutent sur l’aspect rebondi,
brillant, poilu, non dénué d’une certaine bonhommie liée à la proximité de ces
formes avec des formes réelles. En sus du trouble érotique lié au catalogue
donjuanesque de ces difformités, leur étrangeté part à l’encontre de la perfection
admise du corps romantique.

“Brains” 3D modeling and prints
serie “Collection Marine”, “Marine collection”, collages numériques

Cette «redéfinition» du vivant, d’un abord parfois rude, est la marque de fabrique
de cette artiste, à la fois humoristique par un certain «grotesque» et sidérant par
l’affirmation d’une réalité ni biologique ni esthétique qui surgit d’une matière
vivante rendue plausible par le collage numérique, s’il l’on gardait encore un
doute! En déroulant sous nos yeux écarquillés un univers parallèle qui nous fait
perdre le fil originel des familles darwiniennes aujourd’hui éclatées, on oublie
qu’il n’est qu’une proposition de l’imaginaire.

“Specimen and Organisms”, digital collages and videos

L’artiste de la Renaissance a défié la perfection du monde que Dieu avait
créé. Vinci ou Dürer furent convaincus que le créateur les avait gratifiés d’un
don prédestiné pour parvenir à engendrer à son égal. Trois siècles après, au
moment des Lumières, le citoyen affranchi est persuadé que Dieu est mort.
Quatremère de Quincy explique à Antonio Canova, lors du séjour romain de 1783,

que l’art est supérieur à la nature, puisque lui seul peut réunir ce que la nature
ne peut produire que séparément…L’art apparaît alors comme la somme d’une
perfection de détails restés épars sans lui! L’intelligence de l’artiste se confond
avec sa maîtrise des techniques et son sens moral à un idéal de beauté.

“Cnidaria, Grossus Manoïd” collage numérique

Cette relation complexe de la représentation illusionniste à la vérité du réel
s’inverse de nos jours dans la création contemporaine grâce à la technologie,
en particulier au compositing 3D. Comme pour l’intelligence artificielle ou
la greffe cyber sur le système cérébral, il existe une extension de la réalité
sensible. Florence Ormezzano a développé ces effets spéciaux numériques
notamment lors de son séjour à New York de 1989 à 1998, y côtoyant alors la fine
fleur des vidéastes et des plasticiens américains de sa génération dont David
Blair qui fut son mentor et, parmi d’autres, Matthew Barney, joueur de football
américain, auteur culte des vidéos Cremaster (1994-2002) qu’elle a brièvement
côtoyé. L’expérience libertaire de la Beat generation, de la sonorité comme
matière, du grand format à l’américaine, la maîtrise des technologies innovantes
et le féminisme à l’œuvre dans l’expression ouvrent Florence Ormezzano à la
possibilité d’immerger le visiteur dans son concept. Ses séries s’harmonisent
entre elles tout en rythmant leur narration interne pour chaque exposition,
suivant en cela l’exemple d’Eva Hesse (1936-1970), de Joan Jonas (née en
1936) ou de Rebecca Horn (née en 1944) qui en ont développé magistralement
la pratique dans des œuvres aussi critiques que sensibles, éloignées de toute
démonstration de force.
Laurent Puech
commissaire de l’exposition

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